Le monde des esprits et la vie après la mort
Toutes les mythologies du monde cherchent à conférer à l’univers sensible du quotidien une essence invisible, subtile, que l’on pourrait dénommer « âme » ou « esprit ». L’essence spirituelle d’objets impressionnants, tels que le soleil, est tout naturellement considérée comme une divinité particulièrement puissante. Il en va de même pour la lune, la terre et les éléments spectaculaires du paysage, tels que montagnes, lacs et grands arbres.
La contrepartie spirituelle du monde tangible est parfois conçue comme un lieu à part. Les mythes mélanésiens font souvent référence à des évènements prenant place dans un « monde miroir » souterrain. La tradition celte parle d’un « autre monde », empli de magie, de mystère et de danger, que l’on peut pénétrer par des grottes ou des lacs, et qui se situe parfois au couchant. En dépit des périls encourus pour y accéder, il se révèle en fin de compte, un pays de jeunesse et de bonheur éternels.
Parfois dénommée « ombre », l’âme humaine est souvent envisagée comme une réplique, normalement invisible, du corps physique. Le folklore germanique mentionne fréquemment un « double » surnaturel, Le doppelgänger, qui a l’habitude déconcertante de se manifester soudainement, parfois fort loin de son « original » physique. Dans toute l’Afrique, on croit que des sorciers infligent souffrances ou mort en attaquant l’âme ou l’ombre de leurs victimes pour causer à leur corps un mal équivalent.
Le chamanisme universel
Dans toutes les sociétés tribales du monde, certains se consacrent à l’exploration de l’invisible, afin de mettre leur expérience au service des leurs. On les appelle généralement chamans, d’après leur nom chez les Tunguz de Sibérie. En entrant en transe grâce à un psychotrope ou des percussions rythmées, le chaman s’affranchit des limitations de l’espace, du temps et de sa personnalité pour effectuer des voyages spirituels au cours desquels il communique avec des esprits souvent zoomorphes. Le chaman lui-même adopte généralement les caractéristiques d’un animal puissant, tel que l’aigle ou l’ours en Amérique centrale et du sud, le lion ou la panthère en Afrique. Les nombreux mythes nés du chamanisme évoquent très fréquemment un pilier ou un axe mystique, souvent semblable à un arbre aux vastes branches, permettant d’explorer les régions supérieures ou inférieures du cosmos.
Voyages oniriques
Nombre de populations croient que l’individu quitte temporairement son corps pendant l’état de rêve, à la découverte d’autres mondes et à la rencontre d’autres esprits, y compris de défunts. Ces périples nocturnes offrent matière à de nombreux mythes, comme en Amérique du Nord et en Asie du Sud-Est, où l’on suppose que celui qui erre ainsi est susceptible d’être fait prisonnier par quelque être ou sorcier maléfique et devra être secouru par un chaman.
La capture des âmes
Les habitants des forêts d’Amazonie et d’Asie du Sud-Est estiment fréquemment que l’âme humaine réside dans la tête, comme en témoignent de nombreux mythes. Aussi certaines tribus tentaient-elles autrefois d’intégrer l’esprit d’ennemis valeureux à leurs « fonds » spirituel pour en augmenter le pouvoir, en leur coupant la tête et en procédant à des rites comprenant la réduction des crânes ou des transferts symboliques sur des parures rituelles (colliers de têtes de bronze, cheveux ornant les carquois, etc.). Le cannibalisme pouvait avoir des motivations similaires.
Le périple des ombres
De nombreuses traditions supposent qu’après la mort l’âme humaine se rend au royaume des défunts. En Afrique, on croit souvent qu’elle passe un certain temps dans les limbes avant de décider de renaître ou non sur terre, sous forme humaine. D’autres traditions font état d’un angoissant jugement. Un mythe japonais affirme que l’âme de ceux qui se sont rendus coupables de graves péchés est envoyée dans l’une des seize régions d’un domaine infernal appelé Jigoku. La mythologie égyptienne offre un tableau très impressionnant du jugement du défunt par quarante-deux représentants du royaume d’Osiris, dans la salle du trône de ce souverain suprême des mondes infernaux. Maat, la déesse de la Vérité, évalue le poids de la conscience de l’individu à l’aide d’une plume. L’âme de qui a vécu vertueusement rejoint les dieux dans leur éternel combat contre Apep, le Serpent du Chaos ; dans le cas contraire, elle est dévorée par un monstre.
Pour les Grecs, le frère de Zeus, Hadès (pluton), était le souverain de l’empire des morts qui se situait, selon l’Iliade, sous les lieux secrets de la terre et, selon l’Odyssée, au-delà des confins de l’océan primordial. Pour s’y rendre, l’ombre du mort devait recourir à Charon, le nocher immortel, après lui avoir remis le péage placé dans sa bouche par les vivants, afin de traverser plusieurs fleuves tels que l’Achéron (l’Affliction), le Styx (les serments irrévocables), le Léthé (l’Oubli)… Puis elle comparaissait devant trois juges envoyant les justes au paradis des Champs Elysées et condamnant les autres aux tourments éternels.
Les paradis
Le paysage paradisiaque varie parfois beaucoup d’une culture à l’autre. Le paradis japonais, Amer, se situe au-dessus de la Terre, irrigué par le fleuve paisible qu’est la Voie Lactée, et ressemble beaucoup à une vaste terre. Le Walhalla, paradis des guerriers nordiques les plus valeureux, apparaît comme un palais immense comptant cinq cent quarante portes. Chaque jour, armés jusqu’aux dents, les guerriers s’entraînent aux arts martiaux en vue du combat final contre les démons. Le soir, servis par de célestes damoiselles, les walkyries, ils s’enivrent d’hydromel. Certaines traditions situent le paradis des âmes sur le même plan que la Terre. Un mythe slave mentionne un pays de délices sis vers l’Orient, par de-là le lever du soleil, tandis que les îles celtes des bienheureux se trouvaient à l’ouest. Ces paradis ne peuvent généralement être atteints qu’après une traversée périlleuse.
Réincarnation, métempsycose, palingénésie, transmigration…
Nombre de traditions réfèrent à quelque forme de régénération que subirait l’âme après la mort du corps. En Afrique, on considère souvent que l’individu renaît dans le groupe de parenté ou le clan qui était le sien auparavant. Selon les cultures orientales influencées par l’hindouisme et le bouddhisme, les circonstances dans lesquelles l’individu se réincarne sont le fruit d ses actions, pensées et émotions passées – le but final étant la libération du cycle des renaissances (moksha ou nirvâna) que seul l’être humain peut atteindre, ses facultés de libre-arbitre et de discrimination étant alors suffisantes pour lui permettre un développement conscient. Dans cette perspective, il est dit que certains animaux particulièrement « héroïques » peuvent accéder « plus rapidement » à l’état d’être humain.